L’agriculture animale recueille une grande attention publique partout. Ces derniers temps, elle est scrutée à la loupe pour sa contribution aux émissions de gaz à effets de serre. Mais dans un monde où la demande d’énergie est si forte, l’agriculture animale peut aussi être une source d’énergie propre et fiable, grâce au gaz naturel renouvelable, respectueux de l’environnement, produit dans les exploitations agricoles.
Le gaz naturel renouvelable (GNR) provient du méthane produit naturellement par l’activité microbienne issue des sources telles que les fermes d’élevage et les sites d’enfouissement. Le méthane est recueilli dans des digesteurs sur place, valorisé, puis acheminé dans le réseau de gaz naturel.
Avec des objectifs de réduction d’émission les plus stricts d’Amérique du Nord, la Californie est le chef de file de la production de GNR. En octobre 2022, le géant de l’énergie Chevron et CalBio, un important développeur de digesteurs laitiers destinés à produire de l’électricité renouvelable et du carburant pour véhicules en Californie, ont annoncé avoir redoublé leurs efforts en faveur du développement et de la production de GNR dans sept fermes laitières du comté de Merced.
Des défis particuliers
Au Canada, la production de GNR présente des défis particuliers. Les variations importantes de la température extérieure peuvent influencer la performance des bactéries méthanogènes. Cependant, une équipe d’experts regroupant des ingénieurs et des technologues a mis en service la première installation de GNR en Ontario chez Stanton Brothers, l’une des principals exploitations laitières de la province, près d’Ilderton, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de London.
Les partisans de cette solution, comme le consultant en technologie Nick Hendry, qui fait partie de l’équipe qui a mis au point l’installation révolutionnaire avec la propriétaire de la ferme Laurie Stanton, sont convaincus que cette source d’énergie renouvelable contribuera à répondre de manière fiable, économique et efficace aux besoins de l’Ontario. Les agriculteurs peuvent également en retirer de nouveaux profits, avec un retour sur investissement de 5 à 7 ans.
La production de GNR marque le tout dernier épisode de l’histoire en perpétuelle évolution de la famille Stanton. Cette histoire a commencé peu après le tournant du XXe siècle, lorsque le patriarche de la famille, Herbert Stanton, s’est lance activement dans l’achat et la vente des fermes dans le sud-ouest de l’Ontario. Dans les années 1960, la famille a établi son exploitation, qui comptait alors 40 vaches, juste à l’extérieur de Hyde Park, à environ 15 minutes de London.
À l’époque, Hyde Park était une communauté rurale typique. Les exploitations agricoles telles que les Stanton Brothers ont contribué à façonner la culture de la communauté et à soutenir son économie.
Mais au cours des décennies qui ont suivi, l’Ontario a connu une expansion considérable. Nombre de petits villages et de petites villes autour de grandes agglomérations comme London sont devenus des cités-dortoirs. Dans le même temps, les exploitations agricoles se développaient. Les Stanton, par exemple, ont augmenté sensiblement la taille de leur troupeau. Ils sont devenus réputés partout dans le monde pour la qualité de leur génétique laitière. Il leur fallait donc une certaine marge de manoeuvre. Hyde Park devenait de plus en plus étroite.
Laurie Stanton a donc commencé à chercher un endroit pour se réinstaller. Cette recherche l’a conduit à une parcelle de 350 acres près d’Ilderton, à environ 20 minutes de route. L’emplacement était idéal, avec de bons puits et un terrain élevé et exposé au vent, idéal pour le type de grange à bétail ventiléenaturellement qu’il souhaitait construire. Et bien qu’il ne soit pas loin de Hyde Park, qui s’étendait progressivement, il est suffisamment éloigné pour que le développement ne soit pas imminent.
Au fil du temps, la famille a acquis 1 400 acres supplémentaires dans la région d’Ilderton, avant d’y transférer l’ensemble de l’exploitation en 2006. À cette époque, le troupeau comptait 550 vaches.
Croissance soutenue
La croissance qui a suivi le déménagement a été phénoménale. L’exploitation des Stanton, qui compte aujourd’hui 30 employés, 2 000 acres et 1 000 vaches laitières, comprend certains des meilleurs troupeaux de vaches laitières du monde. Le bétail de la famille est devenu une référence grâce à sa confirmation et sa production, avec une génétique issue de vaches telles que l’ancienne Holstein n° 1 au classement, Wabash Way Emilyanne. En 2010, Laurie Stanton a obtenu le titre de maître-éleveur, la récompense la plus convoitée que Holstein Canada décerne aux éleveurs.
Forte de son succès, la famille a créé Stanton Genetics en 2021. Aujourd’hui, les Stanton produisent la moitié des dix meilleures vaches laitières du Canada, et ils ont plus de taureaux parmi les spécimens génétiques les plus performants du Canada que n’importe quelle autre organisation d’IA. Leur taureau, Remover PP, est le meilleur taureau homozygote génétiquement sans cornes du monde.
« Nous avons déployé beaucoup d’efforts au cours des dix dernières années pour atteindre le niveau de qualité de la génétique à cornes, et nous sommes très satisfaits des résultats obtenus », explique Laurie. « J’imagine qu’à un moment donné, une loi obligera le secteur à ne pas écorner les bêtes. Il s’agit d’une démarche peu agréable qui trace un portrait peu reluisant pour le public. »
La croissance de l’exploitation a également permis aux quatre enfants de Laurie et de sa femme Sandy de s’investir totalement dans la ferme. Greg s’occupe des cultures et de l’équipement, pour lesquels les Stanton utilisent des machines New Holland. Jeff s’occupe des aliments et des génisses, Amy est responsible du programme des veaux, Jim s’occupe de la promotion et de la gestion des vaches et sa femme, Nicole, se charge de la génétique et du personnel. Le beau-frère de Jim, John Urbshott, est responsable de l’exploitation du digesteur. « Il doit fonctionner de manière autonome et demande une gestion particulièrement attentionnée, distincte de la production laitière », explique Laurie. « Ce n’est pas une tâche qu’il faut mettre de côté jusqu’à ce que les autres travaux soient terminés. »
À la ferme Stanton, le fumier provenant des étables laitières est acheminé vers le digesteur de la ferme. Les solides du digestat sont acheminés dans un composteur pour éliminer la présence de pathogènes, puis ils sont utilisés comme compléments de litière pour le bétail. Le méthane et le dioxyde de carbone produits par les bactéries présentes dans les effluents sont séparés et le méthane est ensuite purifié, comprimé et injecté dans le réseau de canalisations - qui passe naturellement à proximité de la ferme - puis distribué dans le réseau nord-américain.
Les 3 millions de mètres cubes de GNR produits chaque année à la ferme des Stanton permettent de chauffer l’équivalent de plus de 1 300 foyers.
L’installation a posé quelques problèmes. D’une part, l’équipe chargée de l’installation a dû s’entendre avec les autorités provinciales. Les réglementations relatives au GNR pour les exploitations agricoles n’étaient pas en place comme c’était le cas pour les sources municipales et les sites d’enfouissement. En outre, le digesteur devait être réglé avec précision par souci d’efficacité de l’exploitation, au-delà de la variation de température. « Un digesteur est délicat, comme votre estomac, » explique le consultant Hendry. « Si vous mangez quelque chose que votre estomac n’aime, cela risque de perturber les bactéries et le processus de digestion. Le même principe est valable pour le digesteur. »
Mais les Stanton n’ont pas été découragés pour autant. Ils ont apprécié les aspects environnementaux et économiques du GNR, ainsi que l’idée de produire de l’électricité à la ferme en tant que service public. Après quelques arrêts et départs, dont le passage à un autre modèle de digesteur, tout s’est passé comme il fallait. Laurie affirme que la communauté leur a apporté un soutien positif.
« Nous tenons compte des membres de la communauté », explique Laurie. « Les agriculteurs doivent tenir compte de ce que leur communauté pense d’eux. Nous essayons de colmater les brèches sur le plan environnemental. »